Frigide Barjot, proche de l’extrême-onction ou de la résurrection ? | Le Point, 7 août 2013
L’icône déchue de La Manif pour tous repart en croisade en proposant une réforme de la loi sur la filiation. Suffisant pour briser son isolement ?
Elle se lève, tourne sur elle-même, triture sa robe, se rassied. Non, vraiment, Frigide Barjot ne comprend pas comment « son » mouvement, La Manif pour tous, lui a échappé. « Le bateau a changé de cap, j’ai changé de bateau », dit-elle, avant de corriger : « Enfin, on m’a virée du bateau. » Celle qui s’est astreint une – courte – cure de silence sort du bois, « sans argent, sans réseau, pour repartir de zéro », assure-t-elle.
Le petit tour de piste de Christine Boutin et de Béatrice Bourges, égérie du Printemps français, qui ont présenté le 11 juillet leur formation politique pour les élections européennes, y est pour quelque chose. De même que les récentes positions d’une ligne plus dure de « sa soeur » Ludovine de la Rochère, qui lui a volé la tête du mouvement. Elle avait pourtant promis à Basile de Koch, son oiseau de nuit de mari, « de rester discrète » en attendant l’audience du 18 septembre qui doit trancher le conflit opposant le couple à la Régie immobilière de la ville de Paris – qui tente d’obtenir la résiliation des baux des deux logements, deux appartements, reliés en duplex qu’il occupe.
Traîtres
C’est dans cet appartement, situé près du Champ-de-Mars, qu’elle reçoit. Dans son boudoir foutoir, un mélange de ses deux vies : des posters détournés, des robes de carnaval, des livres, des babioles, Dieu, le pape et la Sainte Vierge. Elle s’excuse pour le désordre, des valises restées dans l’entrée. Deux jours plus tôt, elle tenait une conférence de presse, en l’église Saint-Augustin d’Hardelot (Pas-de-Calais). Devant les paroissiens, Virgine Tellenne (son vrai nom) a parlé de sa récente conversion et de Benoit XVI et de sa croisade pour protéger le plus faible, « l’enfant dont il faut préserver la filiation et la généalogie ».
Des rendez-vous « avec le terrain » qu’elle souhaite répéter dans les prochains mois. Sillonner la province pour demander « aux pacifistes », « à ceux qui ont le respect inconditionnel des personnes » – suivez son regard -, de porter la réforme constitutionnelle du mariage. « Techniquement, cela se fera par un référendum de révision de la Constitution, créant un nouvel article. La loi Taubira devenue obsolète, il faudra conserver les droits d’union et d’éducation aux couples de même sexe en votant une simple loi de type « union civile » instituant un contrat de droit privé sans effets sur la généalogie biologique de l’enfant, sans ouverture de droits filiatifs et procréatifs. » Un détricotage du mariage pour tous. « La suite logique de La Manif pour tous », dit celle qui porte aujourd’hui ses idées sous le drapeau de L’Avenir pour tous.
« Pour beaucoup de dirigeants de La Manif pour tous, nous aurions abandonné le combat, nous aurions déserté, quand, pour d’autres, nous aurions carrément retourné notre veste, changé de camp pour rejoindre les pro-mariage gay. L’Avenir pour tous serait un ramassis de traîtres. La trahison est dans le camp de ceux qui ont dépassé la ligne historique du parti : celle du pacifisme, de l’aspect familial, du respect inconditionnel des personnes, dit en larmes l’icône déchue. Moi, je suis restée fidèle à mes convictions, celles d’une union civile pour les homosexuels, même si ce n’est pas mon combat. » « Je ne suis pas amère », se reprend-elle.
Schéma de sortie
Son objectif ? « Chasser cette séquence médiatique de discrédit sur ma personne » avec, comme schéma de sortie, une volonté de « mettre la pression sur les élus locaux avant les élections municipales en leur proposant de signer une charte pour faire réformer la loi sur la filiation ». Elle jure qu’elle ne veut pas se présenter à l’échéance électorale, mais ne ferme pas la porte aux élections européennes. Frigide Barjot avance ses pions, sans répéter les erreurs du passé. Les statuts de son nouveau collectif sont clairs, elle en est la présidente fondatrice, mais elle continue de s’auto-déclarer présidente d’honneur de La Manif pour tous. « On m’avait refusé le titre de présidente du mouvement en me disant : Ce n’est pas utile, tu l’es, mais de le dire, ça fait fuir les cathos. »
Isolée, elle compte ses troupes et tend la main. À ses côtés, le canal historique de La Manif pour tous : Thierry Vidor (directeur de Familles de France), Xavier Bongibault (président de Plus gay sans mariage) et Laurence Tcheng (présidente de La gauche pour le mariage républicain). Des associations satellites qui ne pèsent pas lourd. Elle appelle ainsi les sympathisants « à un sursaut de notre grand mouvement social et familial, prometteur, mais incapable d’évoluer pour devenir une véritable force de proposition ». Ludovine de la Rochère, qui dit ne pas exclure « des initiatives communes », trace sa route sans intention de rendre les clés du mouvement, scellant le divorce entre les deux femmes. Et plongeant par là même Frigide dans l’oubli ?