Frigide Barjot, la catho déjantée | Le Point, 21 juillet 2011
Croisade. Lobbyiste catholique, l’humoriste provoc’ veut faire entrer la foi dans le PAF.
Libération aurait dû la brûler vive pour ses convictions anti-IVG et sa bigoterie papolâtre. Au lieu de cela, le portrait que lui a consacré, le 30 avril, le quotidien de gauche la croque très gentiment en foldingue attachante. Elle a donc réussi son coup. Depuis 2009, Frigide Barjot inonde les boîtes mails des journalistes de plaidoyers pro-Benoît XVI et d’actes de défense de l'embryon, qu’elle signe, en fine communicante, d’un pseudo pas tellement catho. Manière de brouiller les pistes, de tromper le flair de cette presse qui aime savoir d’avance à qui elle a à faire. Le truc a marché au-delà de ses espérances, la preuve avec cette bénédiction de Libé. Elle brandit l’article comme un trophée. Elle a de petits yeux battus, une voix rauque de fumeuse. On s’attendait à la voir surjouer les fofolles pour mieux faire passer la pilule tradi, elle est bien plus grave que prévu. C’est son assistant, jeune homo affable, qui a ouvert la porte tandis qu’elle se faufile dans son capharnaüm : posters détournés, meubles anciens, babioles et Vierge trônant au milieu du salon, le tout à mille lieues du minimalisme tellement identifiable des intérieurs bobo. Pour étiqueter les occupants des lieux, mieux vaut ici s’enquérir du propriétaire : les deux appartements en duplex reliés par une trappe, l’un occupé par Frigide, l’autre par son époux, Basile de Koch, sont loués à bas prix à la ville de Paris. Et si Frigide arguë mollement de leurs revenus irréguliers, on songe plutôt aux vieilles accointances du duo avec le RPR. Elle a commencé sa vie professionnelle en travaillant à la communication du parti. Ils ont tous les deux raccroché, se contentant depuis de faire vivre, de livres en plateaux télé et en chroniques people, les créatures qu’ils se sont inventées.
L’histoire remonte à la fin des années 80. Etudiant à Sciences po, Bruno Tellenne, autorebaptisé Basile de Koch, fonde Jalons, une équipe de doux dingues qui tourne en dérision la vie politico-médiatique française, et de pastiches de journaux en manifestations « contre le froid au métro Glacière », conçoit un univers parallèle accessible uniquement au troisième degré. Elle, Virginie Merle, qui pointe aussi Rue Saint-Guillaume, a le grain qu’il faut pour entrer dans le jeu : il l’intronise et la renomme Frigide avant de l’épouser. »Il fallait la voir se présenter, avec ses minijupes et ses petits yeux brillants, « Bonjour, moi c’est Frigide » », raconte le démiurge vingt-cinq ans plus tard. Ils sont tous les deux issus d’un milieu bourgeois, volontiers intégriste, d’une droite conservatrice qui a porté le deuil lorsque Mitterrand fut élu et peut à l’occasion voter Le Pen. Mais de ce terreau idéologique ils ont tiré une folie salvatrice, un vrai humour de droite, quand l’ironie, à l’époque, était exclusivement de gauche. »Des anarchistes de droite, se souvient l’ex-souverainiste William Abitbol. Jalons , c’était un peu l’équivalent, à droite, d’ Hara-Kiri. »
Dès lors, tout se mélange. Leurs créatures, leur mariage, la bande à géométrie variable qui s’attache à leurs pas, le milieu médiatique qu’ils moquent tout en s’y exhibant. »Ils emmenaient souvent les nains – leurs deux enfants – dans leurs fausses manifs, raconte un ancien de Jalons.Chez eux, il y avait toujours des gens très différents, des paumés, des intellos, énormément d’homos. On refaisait le monde, on buvait, c’était intelligent, excentrique. » Le monde de Koch/Barjot est un entre-deux carnavalesque, droitier mais ouvert, drôle mais inconfortable. Dans la bande, certains s’y perdent, et le couple, à l’approche de la cinquantaine, manque aussi d’y laisser sa peau. Au fil des ans, ils sont devenus des demi-vedettes du petit écran qui rêvent de s’exprimer enfin au premier degré, mais crèvent de ne plus vraiment savoir, au fond, ce qu’ils ont à dire. Il y a dans leur aventure parodique quelque chose d’inabouti, de désespérant. Alors, entre les deux appartements, la trappe est fermée de plus en plus souvent. Ce matin, l’oiseau de nuit dort encore à l’étage, et elle, sur la terrasse, le Rimmel noyé dans les larmes, avoue qu’elle « ne survivrait pas à la séparation ». Mais ne cache pas qu’ils viennent de la frôler de peu. Alors, pour surnager, elle a trouvé toute seule le premier vrai rôle de sa créature.
« Fille à pédés ». Dans « Confessions d’une catho branchée » (1), long bric-à-brac exhibitionniste, elle raconte la croisade médiatique qu’elle mène depuis 2009 : gagner une place, aux côtés des laïcards et des « éternels cathos de gauche qui trustent les plateaux télé », pour les cathos tradis dont elle se revendique. Défendre, en dircom’ autoproclamée de l’Eglise, le pape, la morale sexuelle vaticane et les racines chrétiennes de la France. Elle aime, et l’écrit sans retenue, les bains de foule papolâtres, les cols romains et les clergymen, les pèlerinages et les génuflexions. Aux cathos qui critiquent leur Eglise elle répond par un « Love it or leave it » un peu court, et la profession de foi, sincère mais bécasse, tombe des mains. Mais s’y glissent tout de même des scènes hilarantes. Frigide balançant en mer les cendres d’un père affreux jojo, fêtard et infidèle, elle-même cernée, sur le pont du bateau, par sa mère et deux des maîtresses officielles – le vent, c’était à prévoir, rabattant intégralement les restes sur les femmes éplorées. Frigide faisant monter le cercueil de sa génitrice dans son appartement, le veillant avant l’inhumation avec quelques copains et presque autant de bouteilles éclusées, et mettant malencontreusement le feu au précieux sarcophage. Ce sont ces pépites qui sauvent le livre et retiennent de classer l’auteur au rayon de cette nouvelle droite décomplexée qui surjoue depuis quelque temps le « politiquement incorrect ». Barjot, c’est une droite Zemmour en plus drôle et beaucoup moins tartufe. Les « Confessions » ont été lancées dans un bar du Marais, en plein homoland. Son monde. Parce que Frigide se définit, sans fausse provocation, comme une « fille à pédés ». « Alors, évidemment, Famille chrétienne n’a pas écrit une ligne », regrette-t-elle. Elle se désole de tous les sectarismes, rêve que chacun, de droite, de gauche ou du milieu, se décoince un bon coup, affiche ses convictions et ses contradictions sans craindre l’inquisition médiatique. Parce qu’elle-même revendique le droit d’être un peu tout ça à la fois. Une dame cathé de la paroisse et une vraie fausse rock star qui chante, le clip tourne en boucle sur le Net, »Fais moi l’amour avec deux doigts ». Une mère parfois embrumée de vodka, et une femme telle que les rêve le souverain pontife, garantes du bonheur des enfants, de l’époux, de la société. Son prêchi-prêcha spirituel énerve. Mais dans le petit théâtre idéologique français, où il suffit d’ordinaire de se renifler pour se coller une étiquette connue, cette gentille cinglée, si peu soucieuse du ridicule, si contradictoire, a réussi à rester inclassable. Et ça, c’est tout de même un miracle.